Profession:coloriste

PROFESSION : COLORISTE

 

Dans la chaîne de fabrication de l’image d’un film, le coloriste est le dernier et ultime maillon créatif. Son influence est grandissante et nous avons donné la parole à trois d’entre eux pour nous parler de leur métier et de leur lien avec la direction photo.

Propos recueillis par Philippe Lavalette CSC (article publié dans le QFQ Août 2012)

 

1. Quelle est votre méthode de travail ?

Patrice Fortin


À mon avis, chaque film est porteur de sa propre «couleur» et l’essentiel de mon travail consiste à la mettre à jour.

Il faut d’abord préciser que l’on peut travailler en projetant l’image sur un écran ou par le biais d’un moniteur. C’est fondamental. La lumière projetée n’est pas la même que celle qui vient d’un écran cathodique.

Quand je reçois les premières images d’un film, je commence toujours par établir le contraste, c’est-à-dire, pour être plus précis, les niveaux des noirs et des blancs. Pour moi, c’est le paramètre déterminant puisqu’il va influencer directement la saturation et la température de couleur (le chaud ou le froid d’une image). Même si nous avons tous les instruments de mesure possibles, je me fie beaucoup à l’œil. Un noir «pur» sera semblable au rideau qui borde l’écran. N’importe quel œil un peu exercé peut faire la comparaison ! Certains directeurs photo tournent un bout de film avec le capuchon, c’est difficile de faire mieux comme noir absolu. Quand le contraste est établi, je peux aborder la saturation des couleurs. Là, il y a plusieurs approches en jouant avec les noirs, les blancs ou les gammas. Il n’y a pas de règle établie en ce qui me concerne. Je fais des tests. Plus j’avance dans mon travail, plus je précise les détails en travaillant si nécessaire chaque partie d’un plan.

C’est une démarche progressive. Je fais six à sept passages par film, en améliorant à chaque fois le résultat. Je ne travaille pas nécessairement dans la continuité du film. Il est essentiel de prendre du recul, exactement comme peut le faire un peintre dans son atelier. La mémoire visuelle est très volatile et mon métier, malgré le raffinement technique de nos outils,  s’appuie sur une grande interprétation subjective.

Et puis, il y a la tentation bien légitime de corriger tous les défauts. Nous ne sommes alors pas loin de l’intervention chirurgicale : tous les boutons, toutes les rides n’existeraient plus si l’on n’y prenait pas garde.

Nico Ilies

Ma méthode ? J’adore provoquer ! Lors d’une nouvelle collaboration, je vais provoquer en allant dans les extrêmes pour avoir une réaction rapide, briser la glace pour mieux connaître le réalisateur et le directeur photo, mais aussi pour ouvrir le dialogue afin d’établir le lexique des mots qui sauront traduire leurs visions créatives, leurs « feelings » par rapport à l’image. C’est donc normal de parler de peinture, de films et de références photographiques. Mon but est toujours d’être le plus juste possible dans l’interprétation artistique de celui-ci.

Oui, Il y a une stratégie pour chaque film mais c’est le film lui-même qui nous dicte la bonne approche.

Dans ma démarche créative, j’aime écouter de la musique. Pour «Décharge» de Benoît Pilon, c’était Eminen qui m’a donné le «mood».

Marc Lussier

Je travaille selon la méthode héritée des étalonneurs film c’est-à-dire que je procède par «point» tel qu’on pouvait le faire sur la tireuse d’un laboratoire. Je propose par exemple un point de vert en plus ou bien deux points de rouge en moins et les directeurs photo habitués au film s’y retrouvent très vite. Mais j’ai vite constaté que les directeurs photo plus jeunes aimaient aussi cette approche puisque ça leur donnait une échelle de valeurs très précise. J’ai donc quatre variantes : le Rouge/ le Vert et le Bleu à laquelle j’ajoute la luminance. Cette méthode me permet d’avoir un dialogue très concret avec le «client». Il y a maintenant de fortes contraintes de temps. On doit faire plus avec moins de temps. Je profite donc des présences indispensables (le directeur photo ou le réalisateur) pour établir sur l’ensemble du film des séquences–types comme un intérieur/nuit ou un extérieur/jour. Ça me donne des références qui me permettent d’avancer plus vite.

2. Comment devient-on coloriste ?

Patrice Fortin

À l’origine, il y a le transfert du négatif sur un support vidéo. C’est là que l’on apprend vraiment le métier et tant qu’il y aura du film, ça restera la meilleure école. En effet, à ce stade, le coloriste est le premier à réellement voir les images tournées. Il a un rôle important puisqu’il contrôle la qualité des images et qu’il va – d’une certaine manière – mettre au monde le film en opérant un «one-light». Sauf indications précises de la part du directeur photo, il va créer un premier coup d’œil qui donnera le ton du film en estimant le niveau d’exposition et le niveau de contraste. Sa responsabilité est grande. S’il y a des problèmes, il doit en rendre compte sans créer de paniques inutiles. Bref, il est d’emblée aux premières loges !

Nico Ilies

D’abord, il faut aimer vivre dans le noir à longueur d’année. Ça tombe bien, je suis né en Transylvanie !

Pour ma part, c’est l’amour du cinéma qui m’a conduit dans ce métier.  À la base, je suis ingénieur en optique/mécanique. Il y a donc une sorte de bipolarité entre la maîtrise technique (l’ingénieur) et le créatif (l’amoureux du cinéma). C’est en Allemagne – à Munich – que j’ai appris mon métier et ça fait 17 ans que j’ai la chance de travailler avec les gens les plus créatifs et exotiques de l’industrie!

Marc Lussier

Il y a des tournants majeurs dans l’Histoire du cinéma et je suis tombé à un moment charnière. Au début des années 80, la technologie a changé de façon radicale. À TVA par exemple, on a fait l’acquisition de télécinés très performants pour l’époque que personne ne savait faire fonctionner. De nouveaux métiers ont émergé spontanément. On a pu devenir du jour au lendemain infographiste ou… coloriste ! À ce moment-là,  je sortais du CEGEP avec un diplôme en électronique et je me suis retrouvé catapulté aux commandes de l’engin ! Je devais alors  transférer des négatifs 35mm sur des rubans de 2 pouces. Ça a été une aventure formidable parce qu’il a fallu tout apprendre, avec simplement le mode d’emploi.  Nous étions à l’âge de pierre : le «time code» était alors une invention nouvelle  et le «time base corrector» sur le point de naître! On ne peut pas imaginer meilleure école.

Nous avons surtout travaillé sur des publicités puis vers le milieu des années 80, il y a eu «Lance et compte», première série tournée en film et transférée sur vidéo. C’était un travail de pionnier.

Aujourd’hui, j’ai plutôt une attitude assez «puriste». C’est le négatif  qui reste le fondement essentiel d’un film et je choisis de faire le moins d’interventions possibles ce qui est assez paradoxal puisque les capacités techniques sont quasiment illimitées. Par exemple, à la fin des années 90, nous n’avions qu’une «boîte» pour modifier une partie de l’image. On est vite passé à 2 puis à 6. Maintenant c’est à l’infini !

3. Comment concevez-vous une relation idéale avec un directeur photo ?

Patrice Fortin

C’est la communication qui est le sésame ! Il faut établir un dialogue dès les premiers tests.  Parler de textures, avoir des références bien avant le tournage comme tel : le film en sera toujours gagnant. Il y a encore bien du chemin à faire. Par exemple, jamais personne n’a eu la bonne idée de me donner à lire un scénario… mais ça viendra.

Nico Ilies

C’est une relation de confiance, de collaboration et de complicité.  Certaines relations se développent en amitiés mais ce qui est le plus important c’est que nous partagions la même passion : l’image.  Que ce soit une première collaboration ou une cinquième, je suis toujours aussi reconnaissant envers eux ; ils sont mes professeurs, mes mentors.  C’est eux qui me permettent d’utiliser mon instinct dans mon travail.

Marc Lussier

Idéalement, le directeur photo fait des tests avant le tournage et m’invite à en discuter. Il cherche la bonne émulsion ou le bon objectif et moi  j’avance avec lui dans sa recherche.

4. Avez-vous parfois le sentiment de suivre des modes ?

Patrice Fortin

Il y a quelques années, les images étaient très contrastées, très dures, probablement sous l’influence de la publicité et du vidéoclip. Cette tendance était la norme. Avec l’arrivée des nouvelles ciné-cameras log, ça a changé. On préfère garder tous les détails dans les noirs et avoir des images plus nuancées. Evidemment, cela dépend beaucoup de la direction artistique et de la direction photo.

D’une façon générale, sauf quelques démarches cinématographiques bien établies, on associe la couleur marquée à la comédie. Les films plus dramatiques véhiculent au contraire des couleurs désaturées, moins prononcées. Il faudra qu’un jour un historien du cinéma se penche sur le phénomène.

Nico Ilies

Des modes ? Oui, et c’est cyclique, un peu comme en Haute Couture. Je me sens d’ailleurs parfois comme un couturier : je prends des mesures, je discute des tissus et de palettes de couleurs… Il y a aussi des approches esthétiques qui reviennent régulièrement, tout particulièrement en publicité.

Pour moi la mode c’est ce qui nous va le mieux … Si on applique cette théorie au cinéma,  c’est l’histoire de chaque film qui nous la dictera.

Marc Lussier

En ce moment, la mode est au grain.  À partir d’un tournage en Alexa, on n’y échappe pas, ce qui est tout de même paradoxal puisque les fabricants d’émulsion ont travaillé fort pour effacer l’idée même de la granulation ! Il y a eu une période bleu acier puis une période verdâtre. En moyenne, ça dure six mois.

PATRICE FORTIN (coloriste chez Vision globale)

filmographie récente :

REBELLES

AVANT QUE MON CŒUR BASCULE

MARS ET AVRIL

L’AFFAIRE DUMONT

INCH ‘ALLAH

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NICO ILIES (chef-coloriste chez Technicolor)

filmographie récente :

LE MAGASIN DES SUICIDES

DÉCHARGE

POUR L’AMOUR DE DIEU

10 ½

À L’ORIGINE D’UN CRI

LA CITÉ

 

 

MARC LUSSIER (coloriste senior chez Vision globale)

filmographie récente :

MAURICE RICHARD

SOIE (SILK)

BON COP, BAD COP

STARBUCKS

Remerciements

Érik Daniel

Luc Déry et Kim Mc Craw

Jacques Blain et Sylvain Corbeil

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