Le meilleur et le pire (magazine csc mai 2015)

Établi à Montréal, Philippe Lavalette csc est un directeur de la photographie reconnu au Canada pour son approche sensible et inventive, en fiction comme en documentaire. Le travail innovateur de Lavalette a été en nomination de nombreuses fois, incluant une mise en nomination CSC en 2013 pour les images d’«Inch’Allah». Lavalette a aussi reçu deux prix Gémeaux, un prix «Best cinematography» aux Hot Docs de Toronto, le prix «Jack Naylor» pour «Best cinematography» au Festival de Haïfa pour le film «Mabul» et le «World best image» à Phoenix toujours pour «Inch’Allah». CSC magazine a enquêté auprès de huit de ses membres pour savoir quel a été le pire et le meilleur conseil reçu au cours de leurs carrières.

Le meilleur conseil ? Le pire conseil ? C’est le même!

Dans les années 70, j’étais étudiant à l’école Louis Lumière à Paris bien avant que cette école ne soit intégrée aujourd’hui à la Cité du cinéma dirigée par Luc Besson ( le 5ème élément, le Grand bleu). Nous avions trois départements : image, son et photographie au sein desquels nous pouvions étudier des matières aussi diverses que la chimie, la physique optique, l’éclairage, la réalisation ou la directions d’acteurs.

Un de nos professeurs était particulièrement dévoué et a passé beaucoup de temps à convaincre les «grands» réalisateurs de venir à l’école pour parler de leur pratique et de ce que signifie – au jour le jour – le métier de cinéaste.

Ce professeur a réussi à faire venir Éric Rohmer, Claude Lelouch et la plupart des signataires de la Nouvelle Vague incluant Jean-Luc Godard !

C’est ce même Godard qui nous a donné en une seule phrase le meilleur et le pire conseil. En affichant un certain détachement, son éternelle cigarette Bogart maïs suspendue aux lèvres, il a murmuré : «Qu’est-ce que vous faîtes ici ? Dans une école de cinéma ? Le cinéma, c’est dehors, c’est dans la rue».

C’était le pire conseil en ce sens que nous apprenions beaucoup pendant ces trois années. Par exemple en optique physiologique, comment nos yeux voient les couleurs et les formes et comment notre cerveau les interprète. Nous apprenions aussi beaucoup sur la lumière, pas seulement en termes esthétiques mais aussi en termes optiques. Ces multiples connaissances théoriques étaient très précieuses et ne pouvaient être acquises ailleurs.

Mais Godard nous donnait aussi le meilleur conseil ! Il avait raison bien sûr. Le cinéma est dans la rue et si nous avions quelque chose à communiquer, nous devions l’apprendre de la vraie vie.

Je n’ai jamais oublié cette phrase marmonnée par Godard. Ses conseils correspondaient à sa réputation : j’attendais une parole provocante… Je l’ai eue ! Il questionnait en fait notre désir de faire des films. Sa question était majeure et résumait l’essentiel: sommes-nous là pour divertir où pour questionner le Monde ?

Godard voyait le cinéma comme un outil pour changer la société. Cette petite phrase a été une sorte de balise, un «garde-fou» qui m’a toujours servi d’appui.